Le bandeau de la couverture de La Goûteuse d’Hitler est aux couleurs italiennes avec 4 prix transalpins, à savoir les Prix Campiello, Vigevano Lucio Mastronardi, Rapallo et Pozzale Luigi Russo.
L’édition originale, par la fameuse maison Feltrinelli, a été traduite par Dominique Vittoz chez Albin Michel.
Si ce roman sort tout droit de la Botte, il raconte néanmoins l’Histoire – celle avec un grand H -, de l’Allemagne nazie et de ces femmes qui goûtèrent les mets destinés au Führer, afin d’éviter toute tentative d’empoisonnement.
On notera d’ailleurs que le titre original, Le Assaggiatrici, est pluriel, désignant toutes ces femmes offertes en sacrifice au national-socialisme, tandis que celui de la version française en désigne une seule, Rosa, la narratrice.
Berlinoise aux traits on ne peut plus aryens comme elle le précise elle-même, la protagoniste est enrôlée dans ce rôle de goûteuse, où chaque repas pourrait être le dernier.
Rosa, comme un diminutif du nom de l’autrice, Rosella Postorino, alors que ce personnage fait directement référence à Margot Wölk, goûteuse d’Hitler qui fut logée tout près de La Tanière du Loup, nom de code du quartier général d’Hitler en Prusse-Orientale.
Entre ces pages, l’Allemagne et l’Italie vivent ensemble de tristes heures sous le joug des idéologies politiques : le Troisième Reich du Führer d’un côté, l’Italie fasciste du Duce de l’autre.
Le père de Rosa voit d’ailleurs le national-socialisme comme “un virus venu d’Italie”.
Au-delà du destin singulier des goûteuses, cet ouvrage porte ainsi en lui la sombre Histoire de l’Europe, où les fléaux se propagent.
Ces deux pays, l’Allemagne et l’Italie, se retrouvent à travers l’écriture et les références culturelles de ce livre : Rosa, d’origine berlinoise, se concentre sur “l’intention” de sa phrase, “allegro, ma non troppo”.
Ces mots sont retranscrits tels quels en italien dans l’édition française. Quant à la baronne, l’un des personnages, elle cite l’Italie à travers ses voyages et son goût pour l’opéra.
La Goûteuse d’Hitler est donc una storia tedesca, aux accents italiens.
En lisant ce livre, on pense aussi à un autre titre italien évoquant l’Allemagne nazie, mais cette fois-ci sur le ton de l’humour, avec une parodie du Petit Prince : Il Piccolo Führer, de Stefano Antonucci et Daniele Fabbri (Shockdom, 2017).
Un livre in carne, ou l’écriture de la chair
“Hitler me nourrissait”. À travers cette simple phrase, on se rend compte que le leitmotiv de cet ouvrage n’est pas tant le risque de mourir à la prochaine bouchée, mais bien ce lien pernicieux entre le Führer et le peuple allemand, lien scellé symboliquement par la nourriture.
Les soldats ingurgitant de la nourriture infâme, les enfants manquant de lait, et les goûteuses se soumettant à la crainte d’une mort prochaine à l’heure des repas.
On peut y lire comme une forme de cannibalisme, la chair des allemands nourrissant les monstrueux desseins d’Adolf Hitler.
Le Führer est d’ailleurs une figure menaçante, incarnée et omniprésente dans les aliments : “Tous les jours, mon assiette, nos dix assiettes alignées évoquaient sa présence comme une transsubstantiation”, raconte Rosa. Dès lors, tous les mets sont comme empoisonnés par l’idéologie nazie.
Espionnes des tripes d’Hitler, les goûteuses sont réduites à l’état de “tubes digestifs”.
Réifiées, elles sentent dans leur propre chair toutes les contradictions entre l’envie d’en finir et le désir de vivre.
Eros, pulsion de vie, et Thanatos, pulsion de mort, mangent ainsi à la même table, invitant à leurs côtés la culpabilité : ”ça n’en finissait jamais, je n’étais jamais écœurée de vivre” souffle Rosa.
L’instinct de survie persiste dans ces corps devenus simples cobayes, avec de régulières prises de sang afin de contrôler l’état de santé des goûteuses.
Pour les nazis, aucune anima dans le corpore sano, ce qui n’est pas sans rappeler les expériences inhumaines menées dans les camps de concentration. La chair est pour eux vide de toute substance.
Une lecture viscérale sur l’intimité des femmes
Loin d’être dépossédés, les corps des goûteuses sont dévorés par le désir charnel.
Ainsi Rosa, dont le fiancé est porté disparu, ressent une irrépressible attirance pour Ziegler, l’un des lieutenants SS chargé de les surveiller.
Les morsures et les griffures sur leur peau pendant qu’ils se retrouvent en cachette sont les témoignages de leurs étreintes.
Désirer son tortionnaire est-il un aveu de faiblesse ? Loin de là : c’est un appétit tout puissant qui s’exprime, celui du corps de l’autre.
Baisser la garde pour sentir son propre corps frémir, savoir qu’il est bel et bien vivant.
Face à l’homme et face à la nourriture, même combat, celui de la conscience moralisatrice (lutter) et celui du désir viscéral (céder).
Comme le confie Rosa, “notre défiance à l’égard de la nourriture faiblit, comme devant un homme qui fait la cour”.
La complexité de ce désir est au cœur de ce roman, comme il l’est également dans la dystopie de Margaret Atwood, The Handmaid’s Tale : dans un régime totalitaire, les femmes sont-elles libres de leur désir ? Et peut-on vraiment parler de désir quand la liberté est remise en doute ?
Certaines d’entre elles, comme la baronne, évoquent le charme magnétique du Führer, tandis que d’autres se soumettent à la rapacité des officiers nazis : “mieux vaut prendre un soldat sur le ventre qu’un américain sur la tête” lance ainsi Ulla, l’une des goûteuses.
La Goûteuse d’Hitler est un livre qui se dévore, littéralement : c’est une part d’Histoire, quelques tranches de vie, celles de ces femmes qui ont vécu des sentiments exacerbés et paradoxaux au creux de leur ventre : la peur, l’envie, l’amitié, la méfiance, la résignation et l’espoir.
Rosella Postorino, questa bravissima autrice !
Le livre est disponible au format papier et numérique
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