Corinne Guitteaud est la fondatrice des Editions Voy’el, maison spécialisée dans la littérature SF et Fantasy, elle publie des livres numériques et imprimés. Elle a récemment poussé un coup de gueule sur Facebook et se demande si elle ne va pas carrément abandonner le papier.
C. Guitteaud nous en dit plus dans cette interview
Vous avez déclaré sur facebook : « Quand on compare les résultats des ventes papiers du mois et ceux des ventes numériques, c’est à se poser des questions sur la poursuite du premier format. » Pourriez-vous nous en dire plus ?
En effet, je venais de recevoir le précompte de mon diffuseur/distributeur papier, Lokomodo, sur les ventes de juillet et le bilan s’avère légèrement négatif, soit presque autant de retours que de ventes. En face, sur le backoffice d’Immatériel, j’ai vu, tout au long de ce même mois de juillet, les ventes numériques augmenter : nous n’avions pas fait un aussi bon mois depuis les fêtes de fin d’année. Et croyez moi que l’investissement n’est pas le même, ne serait-ce qu’au niveau de la fabrication, entre un livre numérique et un livre papier… et surtout, surtout, vous échappez, dans le domaine numérique, à cette hantise du retour. Quand un livre est vendu en juillet en numérique, vous n’avez pas à craindre qu’il vous revienne dans trois mois et de devoir le rembourser. Ce n’est pas le cas en papier. Un précompte, comme celui que me fournit le diffuseur/distributeur, indique juste les livres placés, pas vendus. Une facturation chez Immatériel me dit clairement que j’ai vendu pour tant de bouquins.
Évidemment, la discussion que j’ai ainsi lancée, via ce commentaire a vu s’opposer partisans du livre papier et partisans du livre numérique. Ils ont chacun de bons arguments (je ne les développerai pas ici, ils ont sans doute déjà été rabâchés). Mais arrivera un moment où il faudra peut-être se faire une raison.
Quel bilan faites-vous depuis 2010 concernant vos parutions et votre lectorat ?
Depuis 2010, les ventes n’ont cessé de progresser en numérique, surtout depuis que nous avons signé avec Immatériel : nous avons ainsi pu proposer une offre sans DRM, ce qui n’est apparemment pas encore possible via Numilog. Nous avons enfin pu avoir accès à des plateformes comme l’iBookstore et là, on a clairement vu la différence. J’ai eu la chance de rencontrer un lecteur, en juin, dans le cadre d’un salon, qui m’a dit avoir acheté les livres papier de Voy’el après avoir découvert nos titres en numérique (on en revient un peu à ce que je disais plus haut).
Quels sont vos projets pour la rentrée ?
Je viens de contacter plusieurs auteurs, pour leur demander l’autorisation de proposer, pendant un mois, le premier tome de leur série gratuitement au format numérique (Jean-Christophe Chaumette et Isabelle Wenta ont déjà répondu favorablement, respectivement pour Le Neuvième Cercle et La Saga d’Orion, j’y ajouterai le premier tome de La Trilogie Atlante). Voilà encore une chose que l’on peut faire, c’est une souplesse que n’offre pas le format papier. Cela marche déjà très bien avec le pilote (ou premier épisode) de la série « GeMs » que nous avons mis en ligne gratuitement depuis mars : on va atteindre les 2000 téléchargements, ce qui est inespéré, pour une petite structure comme Voy’el. Cela a même boosté les ventes de nos autres titres, en nous permettant de nous faire connaître. On cherche aussi une solution pour permettre la vente, via le site de Voy’el, d’un « package » offrant le livre numérique avec l’achat du livre papier. Mais nous devons faire attention à ne pas faire n’importe quoi, vis-à-vis du prix unique du livre (que nous approuvons dans ces grandes lignes).
Comment expliquez-vous que les éditeurs de SF et Fantasy font un carton en numérique ?
Cela tient peut-être au support… ou au format proposé. Les histoires de SF ou de Fantasy (ou de Fantastique) fonctionne beaucoup par série (trilogie ou plus). Du coup, je peux comprendre que l’achat de 3 livres à 20 euros ou plus puisse peser sur le budget à l’heure actuelle. Je vais prendre l’exemple de ma paroisse : La Trilogie Atlante, en papier, coûte, au total 76 euros (parce que nous ne pouvons pas faire autrement, vu la taille du livre, que de les vendre à plus de 22 euros, pour rembourser tous les frais). Au format numérique, cela revient trois fois moins cher. J’aimerais pouvoir proposer mes livres papier au prix du numérique, mais comment payer alors l’imprimeur, le diffuseur/distributeur et les fameux… retours ? Et puis, la liseuse fait, d’une certaine manière, partie du paysage de la science-fiction, en particulier : j’ai bien vu des iPads dans Star Trek TNG ! Enfin, les amateurs de science-fiction sont aussi des amateurs de nouvelles technologies et le caractère ludique de cette littérature (et non pas infantile, comme on a tendance à nous le faire croire) convient peut-être particulièrement au lecteur du format numérique, avec les livres enrichis qui commencent à apparaître.
Pour mieux connaitre les Editions Voy’El
vous pouvez télécharger aussi Alter Homo ou encore Les robots sont-ils vraiment nos amis ?
Corinne Guitteaud complète ses propos sur son site, nous ne résistons pas à en publier un extrait : “Alors oui, lectrice ou lecteur outré(e), parfois, c’est « juste pour le fric » qu’on est obligé de faire certains choix, parce que sans le fric, on ne peut rien créer. J’aimerais bien qu’on vive dans une société qui fonctionnerait autrement, mais c’est… de la SF pour l’instant.
Alors oui, si on continue d’envisager des sorties papiers (le catalogue 2013 est déjà bouclé), d’autres changements sont prévus via le numérique et notamment le lancement d’une collection Y (pour Yaoi) qui devrait se faire courant 2013. D’autres séries verront le jour : Lydie Blaizot m’a déjà proposé un projet que le temps, malheureusement, m’a empêché de concrétiser pour l’instant. GeMs poursuivra sa route avec la sortie de la saison 2. Tout ça, comme je le précise dans l’article, ce sont des choses qu’on ne peut pas faire au format papier, parce que ça coûte trop cher à la fabrication… et que les libraires, de toute façon, refuserait des formats poches de 150-170 000 signes à 8 euros pièce dans leur rayon, pour au moins 4 ou 5 volumes. Donc, on les sortira en un seul volume, tout en perdant l’esprit « série » que l’on peut développer en numérique. C’est comme ça et je ne vais certainement pas cracher dans la soupe des ebooks, vue ce qu’elle rapporte.
Alors oui, le numérique, c’est ce qui permet à de petits éditeurs comme moi de garder la tête hors de l’eau, je ne vois vraiment pas pourquoi je le cacherais”