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Quand John Simenon raconte comment il gère le patrimoine Georges Simenon

Interview John Simenon Ebooks IDBOOXGeorges Simenon était un écrivain prolifique et résolument moderne, il était même en avance sur son temps. Son fils, John Simenon gère depuis les années 90, le patrimoine littéraire et audiovisuel de son père. Dans cette interview exclusive il nous raconte ce que gérer un patrimoine littéraire à l’heure du numérique implique.

 

John Simenon, vous gérez le patrimoine culturel légué par votre père, cette tâche est énorme pourriez-vous nous raconter ce que cela implique ?

J’ai été amené à gérer l’œuvre de mon père car, s’il avait désigné quelques exécuteurs testamentaires avec un profil administratif pour répartir les royalties des grands contrats qu’il avait signés avant sa mort, cela s’arrêtait là, et toutes ces personnes sont décédées dans les cinq ans après sa mort.

Pour une fois, il s’était trompé, car il n’avait pas anticipé ce que gérer son patrimoine représenterait plusieurs décennies plus tard.

Lorsque j’ai commencé, en 1995, je me suis rendu compte que son œuvre était encore très vivante, mais la famille n’était pas préparée et il m’a fallu prendre le pouls de la situation. Tout ce qui concernait l’audiovisuel n’a pas été un problème, car je travaillais dans ce domaine, mais les livres et le monde de l’édition étaient nouveaux pour moi, les règles sont différentes. Il a donc fallu faire le bilan et relever le challenge.
J’ai rationalisé l’organisation au maximum, car, pendant longtemps, j’ai été seul à tout faire avec une assistante et un comptable à mi-temps, puis nous avons créé des sociétés pour détenir les droits Simenon.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la mission Simenon ?

Pour ce qui est de l’édition, ses œuvres font parties de la “backlist”, et il faut donc lutter en permanence pour garder Simenon sur le devant de la scène.
Heureusement, les éditeurs sont très coopératifs et dynamiques, ils mènent des opérations spéciales, renouvellent les titres et les traductions, et tout cela contribue à maintenir une grande visibilité aux livres de mon père. Et les très nombreuses adaptations pour la télévision et le cinéma ont aussi un impact très précieux.

Très tôt Georges Simenon a été disponible en numérique, vous êtes pour ainsi dire un pionnier, vous n’avez pas hésité à proposer un grand nombre de titres en version ebook, pourquoi ?

250 titres, effectivement. Vous imaginez, 250 livres de Georges Simenon sont disponibles en France en version eBook ! Le numérique est essentiel, il est directement lié à ce que nous évoquions, faire vivre son patrimoine littéraire !

Il a certes fallu revoir les contrats mais ce n’est pas ce qui a été le plus difficile, car Gallimard et Omnibus / Presses de la Cité, ses éditeurs historiques, se sont très vite entendus et le résultat est remarquable!

À l’étranger, en revanche, et là c’est une autre paire de manches, nous en profitons pour retraduire tous ses titres. Bien sûr, nous aurions pu nous contenter de numériser les anciennes traductions, dont certaines remontaient aux années 30, mais ce n’était pas souhaitable. Ces traductions étaient souvent d’une qualité inacceptable aujourd’hui, car le lecteur est devenu beaucoup plus exigeant et s’attend à des traductions proche de l’âme originale des romans.

Vous connaissez la brutalité phénoménale du marché anglais! Ils lisent moins, il y a moins de libraires, l’acte d’achat est différent. Hors c”est le numérique qui a permis de justifier de nouvelles traductions et de redynamiser ainsi entièrement les ventes qui sinon auraient périclité.

Et puis, vous savez, chaque fois qu’un nouveau canal de distribution de crée, il est plus facile d’y entrer au début, lorsqu’il a besoin de contenu, même si parfois on se casse quelques dents en faisant des erreurs.

la boule noire Simenon ebook IDBOOX

D’ailleurs vous avez choisi de vendre les Maigret par exemple à prix réduit et à moins de 8 euros, pourquoi ce choix ?

Les prix doivent refléter non seulement les coûts de fabrication et de distribution, mais aussi l’«expérience-consommateur». Et, même à prix réduit, le pourcentage revenant à l’auteur étant plus élevé dans le numérique, on peut arriver à ce que la valeur absolue de la part revenant à l’œuvre soit supérieure à ce qu’elle est dans un livre papier. Il faut cependant éviter de dévaloriser la valeur de l’œuvre aux yeux du lecteur. Difficile équilibre!
Mais, selon les circonstances, les prix réduits c’est le “common sense”. Quand mon père a lancé sa série Maigret dans les années 30, il connaissait l’économie du livre dans tous ses détails, savait exactement ce qu’il pouvait exiger, et s’est toujours battu pour que ses romans soient abordables. Je ne fais qu’appliquer que ce qu’il faisait.

Il y a pas mal d’opération de promotion autour des ebooks de Georges Simenon, êtes-vous partie prenante ?

Mais bien sûr !

Le numérique permet un contact entre l’auteur et le lecteur qui n’existait pas auparavant. Quand, par exemple, l’autoédition réussit aujourd’hui, c’est parce que les auteurs s’impliquent personnellement. Ce rapport de proximité est très important, et le contact entre le lecteur et l’auteur est un accompagnement idéal à la lecture d’un roman. À nous de nous en inspirer.

Bien sûr, l’éditeur doit faire une partie du travail, mais seul l’auteur ou son représentant légitime peut établir cette relation de proximité indispensable, raconter des histoires autour de l’œuvre, remplacer le contact avec le papier par un contact, finalement bien plus fort, avec l’auteur. Et cela contribue à renforcer la valeur de l’œuvre sous sa forme numérique.

Pour Simenon, qui est encore traduit dans le monde entier, c’est compliqué, mais j’apprends, pas à pas, avec Facebook, Twitter, un site internet, ce n’est qu’un début, il faut aller de l’avant, continuer pour faire plus et mieux.

Maigret simenon Ebooks IDBOOX

Donc pour vous le marketing du livre qu’il soit numérique ou papier n’est pas un gros mot ?

Vous savez, mon père était mal vu car il s’occupait beaucoup de la promotion de ses œuvres. Il ne considérait pas le marketing comme un gros mot, c’était juste pour lui, une façon de mettre en contact ses romans avec ses lecteurs. Il n’en avait pas honte, bien au contraire ! Tout auteur souhaite être lu, même si beaucoup, encore, ont cette vanité dépassée de prétendre n’avoir pas à faire d’effort pour apprendre à écrire (cela se sent d’ailleurs trop souvent!) ou pour rencontrer le succès.

Mon père était fier d’avoir mis dix ans à apprendre toutes les facettes de son métier, et il serait totalement à son aise dans le monde actuel, les réseaux sociaux, etc.

Pour ma part, je suis parti de sa correspondance et de ses contrats pour comprendre son mode de travail, et je n’ai quasiment rien eu à changer. Sans le dire, il se gérait comme « une marque », mais quand j’en parlais il y a 10-15 ans, on me prenait pour un dangereux commercial perdu dans le monde éthéré de la culture.

Et puis, je suis convaincu que mon père aurait accueilli le numérique à bras ouverts ! Ce n’est pas pour rien qu’il est l’auteur le plus adapté au monde. Il avait compris, par exemple, que la télévision et le cinéma, même s’ils la trahissent d’une certaine façon, contribuent par ailleurs à rapprocher son œuvre de ses lecteurs.

Et le piratage, ça vous fait peur ?

Le piratage n’est qu’une forme de contrebande, et rappelle l’époque de la prohibition aux USA. Il est avant tout le résultat d’une demande non satisfaite par des détenteurs de droits qui ne sont plus en phase avec leur marché. Le cas le plus criant est celui des films. Je suis contre, bien sûr, mais la lutte passe avant tout par une mise à disposition qui correspond aux attentes du public, et seulement ensuite par de juste sanctions.
C’est ce que j’essaie de faire avec le soutient de nos partenaires, éditeurs, producteurs, etc.

A propos de ReLire, le registre des œuvres indisponibles, avez-vous trouvé des livres de votre père dans la liste publiée ?

[Ndlr : nous avons rappelé les contours de RelIre à J. Simenon et avons effectué une recherche en direct. Là nous avons trouvé quelques œuvres de Simenon. Interdit, John Simenon se tait quelques secondes, puis il fulmine ]: « Il est hors de question que l’Etat s’approprie des œuvres encore loin de tomber dans le domaine public, et certainement pas orphelines! Je vais tout de suite faire opposition. Je suis d’accord pour que les œuvres orphelines y figurent mais là, c’est n’importe quoi! Vous voyez, je pensais avoir une certaine visibilité sur l’ensemble de cette œuvre, mais certaines choses m’échappent encore, et vous comprenez que gérer un tel patrimoine est extrêmement complexe pour les ayants-droit.»

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De façon plus personnelle, qu’est-ce que ça vous fait de parler de votre père ?

Quand je le lis, ses romans, sa correspondance, ses reportages, ce sont mes moments à moi. Mais dans mes rapports publics avec les lecteurs, mon rôle n’est pas de leur imposer mes goûts, ma vision, mais de les encourager à exprimer les leurs. Il ne faut surtout pas que ma voix supplante celle des lecteurs, qui est celle qui compte. J’essaie d’enrichir leur expérience, je les rencontre dans les librairies, les salons, sur les réseaux sociaux, tout en sachant que je ne pourrai jamais leur donner le même plaisir qu’ils auraient eu, et que j’ai moi-même eu, avec mon père.

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