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Ebook – Laurent Le Meur : pour en finir avec la Book Famine

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L’accessibilité des livres numériques est un enjeu majeur. Ce défi technologique et commercial est indispensable à l’adoption de la lecture numérique pour tous les publics. 

Face à cette problématique, et à l’occasion de la semaine du handicap, il est temps de faire le point sur les derniers développements techniques du livre numérique.

Dans cette interview Laurent Le Meur, Directeur de EDRLab, fait un tour d’horizon approfondi des avancées techniques.

Cet entretien en profite aussi pour faire le point sur la collaboration entre l’IDPF, l’EDRLab et le W3c.

Quel bilan faites-vous d’EDRLab depuis son installation en France ?

EDRLab a démarré ses travaux il y a deux ans tout juste. En deux ans, l’association est passée de 15 à 40 membres et son potentiel d’évolution est encore très important en Europe, mais aussi hors d’Europe.

En effet, il est maintenant possible de devenir membre d’EDRLab quelle que soit l’origine géographique d’une organisation, tant qu’elle évolue dans le monde de l’édition.

La première année a été principalement consacrée au développement de la DRM LCP, à la maintenance des logiciels Readium et à la définition du standard EPUB 3.1 au sein de l’IDPF.

La seconde année a été centrée sur la refonte de Readium (sous l’appellation « Readium 2 »), sur des actions de médiation et d’étude autour de l’accessibilité des contenus au format EPUB, et sur l’étude des futurs standards Web Publications et EPUB 4 au sein du W3C.

Nous avons également organisé deux EPUB Summit, des événements internationaux largement appréciés, à Bordeaux en 2016 puis Bruxelles en 2017.

Notre équipe est de taille variable, constituées de développeurs logiciels et experts en accessibilité, travaillant de manière distribuée, en France, en Angleterre et même aux USA.

Les fondateurs d’EDRLab, un bel exemple de coopération privé-public, participent activement au choix et au suivi des projets du laboratoire. C’est une preuve de leur intérêt pour notre travail, et cela me donne confiance en l’avenir de notre organisation.

EDRLab travaille sur le livre numérique sous différentes facettes techniques et notamment les aspects de l’accessibilité, pourriez-vous nous faire un point à date ?

Cette mission est financée par le Ministère de la Culture et de la Communication, ainsi que par la Fondation des Aveugles de Guerre.

Elle s’articule autour de trois axes : contribuer à rendre l’écosystème EPUB 3 français nativement accessible ; accompagner les structures spécialisées dans l’adoption du format EPUB 3 comme format d’adaptation ; communiquer et œuvrer, au niveau national et international, à l’adoption de ce format pour une meilleure inclusion de l’ensemble des publics empêchés.

handicap
En partenariat avec l’association BrailleNet, l’INRIA, Fenixx et Prismallia, nous démarrons également un Projet d’Investissement d’Avenir nommé Opaline, financé par la BPi.

Ce projet vise à améliorer la qualité des contenus produits en voix de synthèse (TTS), automatiser les chaînes de production de documents braille, et développer une solution de lecture optimisée pour les utilisateurs déficients visuels, libre, basée sur Readium.

Ces efforts visent à sortir de ce que les anglais appellent la « book famine » qui fait que moins de 10% de la production annuelle de livres et accessibles aux personnes atteintes de déficience visuelle.

Rien ne s’oppose à la publication d’ebooks accessibles

Avez-vous des exemples concrets à nous donner sur ces avancées ? Quelles fonctionnalités ? 

Très concrètement, le groupe Hachette publie depuis cette année la totalité de sa production « simple » (littérature entre autres) au format EPUB 3 accessible .

Et j’insiste sur un point important pour la chaîne de l’édition : sans surcoût. Et ce groupe n’est pas le seul à s’investir : le SNE, le CNL et la BnF viennent d’annoncer que la quasi-totalité des livres de la rentrée littéraire est disponible en format EPUB 3 accessible.

Ces avancées ont été obtenues par des partenariats multiples, dans lesquels EDRLab a été largement impliqué .

Sur le plan des outils spécialisés, nous avons réalisé la traduction française des outils open-source OBI et TOBI, qui permettent la production de livres audio structurés et de livres enrichis par l’audio : une manière pratique de pousser à l’utilisation de ces outils dans les territoires francophones.

A l’autre bout de la chaîne, nous travaillons avec les fabricants de liseuses spécialisées pour les malvoyants, avec comme objectif l’adoption sur ces matériels du format EPUB 3 accessible en plus des formats spécialisés DAISY : nous espérons pouvoir annoncer plusieurs avancées lors du prochain EPUB Summit que nous organisons l’an prochain à Berlin.

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Quels sont, selon vous, les points bloquants pour proposer des ebooks vraiment accessibles selon vous ?

Pour résumer, un ebook nativement accessible aux personnes atteintes de déficience visuelle est simplement un ebook bien structuré ; c’est à dire dont les différentes sections sont proprement qualifiées, comme un titre de niveau 2, une note de bas de page, un encadré, et dont les images sont accompagnées de légendes descriptives. Rien de bien sorcier, mais une certaine attention à porter à la conception du livre.

Pour des productions simples, rien ne s’oppose à la publication d’ebooks accessibles, sauf une méconnaissance des possibilités des outils d’édition actuels ou un manque d’attention au sujet.

Les outils de production et de lecture EPUB 3 sont là, et encore une fois il n’y a pas de surcoût de passage à une production EPUB 3 accessible.

Ceci dit, il est également indéniable que les outils actuels ne sont pas optimisés pour ce type de structuration « sémantique », et EDRLab compte aborder ce problème à terme.

Pour les livres complexes, par exemple les ouvrages scolaires ou les publications graphiques, le problème est plus délicat car l’attention nécessaire pour enrichir ces ouvrages et compenser une déficience visuelle et très importante.

Le problème n’est toujours pas technique, mais plutôt de temps et de coût. EDRLab travaille donc avec les associations françaises spécialisées sur les meilleurs moyens d’enrichissement d’ouvrages scolaires au format EPUB 3.

J’ai parlé jusqu’ici de l’accessibilité des livres aux personnes handicapées visuelles.

Mais parlons également des personnes atteintes de dyslexie, soit environ 5% de la population.

Pour ces personnes, lire est au minimum inconfortable, parfois quasi-impossible. Pour les enfants, cela veut dire qu’apprendre est beaucoup plus difficile, un vrai fléau éducatif.

EDRLab a donc lancé une étude cette année, pour dans un premier temps apprendre des experts quels sont les outils de lecture numériques efficaces pour ces personnes.

Il n’y a aucune ambition ici de créer des outils pédagogiques, mais bien de définir quels outils de confort pourraient être intégrés dans toutes les applications de lecture basées sur le moteur Readium.

Nous espérons pouvoir continuer cette étude en 2018 et développer les outils nécessaires.

d’ici 3 ans la « book famine » sera vaincue en France

D’ici 3 ans, pensez-vous qu’on aura réglé les problèmes techniques et pensez-vous qu’un catalogue vraiment accessible pourra être proposé aux déficients visuels ?

Il n’y a donc pas de problème technique à proprement parler, uniquement un problème de maturité de l’écosystème.

Pour rendre cet écosystème mature, il faut des outils de mesure du niveau d’accessibilité des ebooks, et une bonne exposition des ouvrages accessibles.

Le DAISY consortium propose maintenant un outil de contrôle, nommé ACE . Cet outil libre est encore en version beta, mais il est très prometteur : grâce à lui un éditeur peut vérifier le niveau d’accessibilité de sa production.

Et cet outil sera utilisé par des organismes de certification chargés de « tamponner » la production des éditeurs dans différents pays. Aux USA, Benetech propose déjà ce type de certification. En France, il n’y a pas encore d’offre de ce type.

Exposer concrètement les ouvrages accessibles nécessite d’une part l’existence de métadonnées adaptées : c’est déjà le cas dans les métadonnées ONIX.

Il faut également que les éditeurs les utilisent, que les libraires numériques utilisent ces métadonnées pour permettre la sélection des livres accessibles par le public visé, et que les sites d’achat en ligne soient eux même parfaitement accessibles : c’est un enjeu à relever pour les prochaines années, qui ne demande que de la bonne volonté et quelques évolutions techniques.

Il faut enfin que les dispositifs de lecture, spécialisés ou non, permettent aux personnes déficientes visuelles d’accéder à des livres protégés par DRM, par exemple des livres empruntés en bibliothèque.

Pour cela EDRLab a une proposition simple, l’adoption générale de la DRM Readium LCP, conçue pour ne pas casser l’accessibilité des ebooks lors de leur lecture.

Si les différentes parties – éditeurs, libraires, associations de personnes handicapées visuelles, pouvoirs publics – continuent à interagir en bonne entente, comme actuellement, je pense en effet que d’ici 3 ans la « book famine » sera vaincue en France.

Où en êtes-vous avec la DRM LCP ?

L’année 2016 a été une année de développement, 2017 une année de prototypage ; 2018 sera l’année du déploiement réel de Readium LCP.

Nous sommes en train de valider les premières applications de lecture compatibles, en particulier l’application Lisa d’Art Book Magazine ; et les premiers serveurs de licence LCP, chez Eden Livres et ePagine.

D’autres arrivent très bientôt, en particuliers les outils de TEA, qui va rapidement rendre son infrastructure CARE 100% compatible Readium LCP.

Le dispositif PNB est également actuellement en cours d’adoption de LCP, nous en avons fait la démonstration dès avril dernier pendant l’EPUB Summit 2017.

Nous avons également de nombreux prospects à l’étranger, et pourrons en faire la démonstration lors du prochain EPUB Summit. Faire passer une industrie complète d’une DRM lourde mais omniprésente – celle d’Adobe – à une DRM plus agile mais émergente, prend nécessairement du temps.

Quels sont les projets à moyen terme d’EDRLab, et surtout les objectifs majeurs à atteindre rapidement ?

Nous sommes un labo de développement agile, qui réagit en fonction des besoins de ses membres.

Notre objectif à court terme est d’accompagner le déploiement de Readium LCP, globalement.

Cela passe par des actions de validation de logiciels et de mise à disposition de code open-source facilitant l’intégration de LCP dans les applications de lecture.

Il est aussi de finaliser le développement de Readium 2 : une nouvelle génération de moteur de lecture open-source, léger, performant, adapté aux applications mobiles modernes, mais aussi à la lecture sous Windows, OSX et sous Linux.

Ce socle applicatif permettra le développement de multiples applications de lecture à travers le monde, avec un très haut niveau d’interopérabilité et une capacité d’évolution décuplée.

En parallèle, nous comptons intervenir fortement dans le développement des futurs standards de publication, au sein du W3C.

Nous donnons ainsi à nos membres un accès privilégié au creuset des innovations clés pour leur succès face aux grandes plateformes propriétaires.

Et nous sommes déjà en train de prototyper la mise en œuvre de ces standards dans les logiciels Readium, Radium devenant donc l’implémentation de référence de ces standards internationaux.

Et bien sûr nous comptons aider à clore bientôt la phase de famine littéraire que les personnes déficientes visuelles vivent depuis de si nombreuses années.

De grosses ambitions, pour une petite association. Nous comptons sur le support et l’implication de nos membres pour y parvenir.

Justement, il y a eu récemment une grande réunion avec le W3c, quels sont les axes de travail qui en sont ressortis ? Quels avancements ?

Il y a eu en fait deux évènements à San Francisco la semaine dernière : deux jours de réunion de travail sur les futurs standards de publication numérique, Web Publications et EPUB 4 d’une part ; deux jours de conférence sur la convergence de l’industrie de l’édition et du Web d’autre part.

La réunion de travail, qui réunissant une quarantaine de personnes, et à laquelle j’ai participé avec l’un de nos lead developers, Daniel Weck, a permis d’approfondir des discussions complexes sur le modèle de publication qui sous-tendra les futures Web Publications : des collections de pages Web dotées de métadonnées, interprétables par des navigateurs Web standards comme par des applications de lecture spécialisées, type Readium.

Un travail qui se poursuivra pendant environ deux années. Nous invitons d’ailleurs l’industrie du livre, mais aussi celle de la presse, à s’intéresser de près à ces travaux, puisqu’ils impacteront largement leur modèle d’affaire d’ici peu.

Devenir membre d’EDRLab est un bon moyen de se tenir au courant et pouvoir influencer ces développements.

La conférence qui a suivi était le pendant américain des EPUB Summit organisé depuis deux ans par EDRLab.

Elle suit la fusion IDPF / W3C l’an dernier. Elle a permis d’approfondir le dialogue entre la communauté des développeurs Web et celle des éditeurs et développeurs de solutions EPUB.

En particulier, nous avons pu échanger avec les développeurs du support du format EPUB à l’intérieur du navigateur Edge de Microsoft – un contact qui sera poursuivi en France, puisque ces développeurs sont basés dans les locaux français de Microsoft.

Nous avons également pu nouer des liens formels avec le groupe de travail japonais chargé de suivre le travail du W3C dans le domaine de l’édition : grâce à ce nouveau partenariat, nous comptons en particulier améliorer sensiblement le support des écritures verticales dans les logiciels Readium.

Enfin, nous avons établi de nouveaux contacts avec des organisations très intéressées par l’utilisation de la DRM Readium LCP pour protéger leurs publications EPUB.

Parmi les informations intéressantes tirées de ces conférences, le fait que le format EPUB 3 est le standard de production unique au Japon, où son ancêtre EPUB 2 n’a pas droit de cité.

Egalement la démonstration faite par Jen Simmons, une experte en construction d’ebooks, des qualités des nouveautés CSS pour améliorer la typographie des publications ; Jiminy Panoz, qui travaille actuellement pour EDRLAb, reviendra d’ailleurs sur ce sujet lors des prochaines Assises du Livre Numérique.

Enfin le besoin exprimé par le représentant l’Université du Michigan d’un format de préservation des publications numériques basé sur la future version du format EPUB.

L’industrie de l’édition européenne, comme celle de la presse d’ailleurs, bénéficiera de son propre évènement l’an prochain à Berlin (16 et 17 mai) : le Digital Publishing Summit Europe, organisé par EDRLab avec l’aide du W3C.

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