J’ai rencontré un certain nombre d’éditeurs ces derniers temps et parlé de formats de livres numériques avec eux. J’ai aussi écouté, au sein de la communauté des gens qui s’intéressent à l’édition et à l’informatique, les débats autour des ebooks et du web et aussi, dans une moindre mesure, des apps.
Tous les éditeurs que j’ai rencontrés le répètent à l’envi, c’est comme un credo : epub est « la voie ».
Epub, disent-ils, est ouvert. Ce dont nous avons besoin non seulement car l’ouverture est un bienfait en tant que telle, mais aussi pour briser l’utilisation par Amazon de son format fermé, mobi. Ouvert, epub est aussi interopérable : il est très important que les clients qui ont acheté un livre sur la plateforme A puissent y accéder aussi sur la plateforme B. Non seulement, à nouveau, parce que l’interopérabilité est bonne en elle-même, mais aussi parce qu’il est malsain de laisser un seul acteur capturer ainsi indéfiniment la valeur d’un client.
Les partisans du web
Pour une minorité, les ebooks vont évoluer d’epub2 à epub3, qui a plus de fonctionnalités de type web, et ce n’est qu’une étape vers le web en général. Qui, d’ailleurs, est ouvert et interopérable. Ces évolutions illustrent la porosité croissante des frontières entre le livre et le web, et le livre s’écoulera lentement, mais naturellement dans le grand océan du web. Certains billets de Walrus Books (voir par exemple « le livre numérique comme une porte et une clé ») expliquent très bien cette position des « partisans du web » :
« Notre conception du livre — et a fortiori du livre numérique — se base sur le fait que nous appliquons la notion d’objet à un fichier informatique. (…) Je suis convaincu que le fichier .epub est, à plus ou moins court terme, voué à disparaître — ou plutôt, si l’on veut être exact avec les mots, à se dissoudre dans le web comme un morceau de sucre dans du café. »
Comment les éditeurs vont gagner leur vie dans ce modèle, personne ne le sait vraiment. Mais d’une certaine façon c’est une question secondaire, parce que, revenus ou pas, éditeurs ou pas, cela va arriver.
Et les apps ?
Pour ce qui me concerne, ces derniers mois j’ai fait des livres sous forme d’apps (allez-y elles sont super !). Et quand je parle de livres-apps à des éditeurs, leur réaction est plus ou moins celle-ci :
« Oh mon Dieu, Saint Epub, le problème de ces apps-qui-ne-sont-pas-des-epubs, dont vous me parlez, principalement, le problème c’est qu’il ne s’agit pas d’epubs, n’est-ce pas ? Ce sont des apps, et donc : elles ne sont pas ouvertes ; elles ne sont pas interopérables ; les libraires n’y ont pas accès ; je ne sais pas vraiment vendre ces objets, et vous savez dans ces « stores » il y des gens qui vendent des jeux, et le prix des apps c’est juste ridicule… »
Je paraphrase très légèrement, mais je pense que vous avez compris. Et en dépit de ma présentation humoristique, je ne prends certainement pas ces remarques à la légère : certaines n’ont pas encore de réponse claire et représentent de vrais challenges.
En même temps, en creux je pense que ces réactions nous aident à mieux comprendre leurs motivations à l’égard d’epub.
Pourquoi epub?
Ce n’est pas principalement l’ouverture et l’interopérabilité qui comptent. Ce que les éditeurs aiment dans epub, me semble-t-il, c’est qu’il s’agit de la meilleure solution qu’ils ont trouvée jusqu’à présent pour répliquer, dans l’univers numérique, la chaîne du livre actuelle, libraires inclus.
Mais je pense que cet amour exclusif d’epub aux dépens du web et des apps pose trois problèmes.
Epub est fermé… sur lui-même
Epub a des limitations techniques importantes. Prenez un epub à propos de la flore du pacifique sud. Vous voulez en partager une photo sur Pinterest ? Même si vous avez l’application pinterest installée sur la même tablette que votre application de lecture, vous ne pouvez pas le faire simplement. Votre livre est, très largement, fermé sur lui-même. Si vous êtes sur une liseuse, ce n’est pas réellement un problème, mais sur une tablette, ou un smartphone, cela n’a pas de sens, me semble-t-il, d’ignorer le reste des apps qui sont sur le device. Et c’est certainement ironique, pour un format ouvert et interopérable.
Epub, ce n’est pas de l’innovation
Je pense que le dogme de l’epub se méprend aussi sur ce que c’est que l’innovation. Des avancées technologiques qui ne remettent pas en cause votre modèle économique, comme epub, sont des gains de productivité. C’est très important, mais ce n’est pas de l’innovation. Epub renforce, de fait, le statu quo au sein des métiers du livre, mais ne protège en rien des innovations qui pourraient advenir de l’autre côté de la frontière (et déborder de ce côté).
L’utilisateur se moque des formats
Ce qui l’intéresse sans doute beaucoup plus, ce sont le contenu, la facilité d’accès aux contenus, et de savoir si la forme (ergonomie, fonctionnalités, etc.) correspond aux contenus.
Le livre, comme idée, n’a pas besoin d’un format particulier. S’il y a un début, un milieu, une fin, et qu’il n’y a pas de mises à jour significatives du contenu après publication initiale, c’est sans doute un livre. On pourrait certainement faire un site web qui respecte ces contraintes. Ou une app. Certains livres ont plus de sens en epub, d’autres en site web, d’autres encore en app. Ou dans les trois formats.
Si vraiment nous prétendons mettre le lecteur et la simplicité au premier plan, nous devons être agnostiques à ce sujet. Un éditeur, qui fait du papier, doit certainement, en numérique, continuer à faire du epub2, et du epub3 quand le format sera prêt, mais il devrait aussi faire du web et des apps. Non pas 1000 epubs pour un site web ou une app prétexte, mais investir autant dans le web et les apps que dans epub.
Contribution de Nicolas Morin : il a géré les services informatiques de plusieurs bibliothèques universitaires pendant 10 ans, puis a co-fondé une Société de Services en Logiciels Libres dans ce secteur. Il se consacre aujourd’hui à l’édition numérique, comme éditeur avec Citronours , comme prestataire de service avec Kplusn
Bonjour,
C’était hier mercredi, le jour des enfants, et je n’étais pas disponible. Je n’ai pu prendre connaissance de vos commentaires, ici et ailleurs, que ce matin. Excusez donc le retard dans ma réponse.
@Jeanly. Le point que vous relevez, selon lequel epub se fondrait dans le web… n’est pas de moi. C’est une citation, des gens de Walrus Books, dont le métier est (entre autres), de faire des epubs, en particulier des epub3. Je pense qu’ils connaissent le format.
@EditingPlus. Je suis désolé mais je n’ai tout simplement pas compris la première partie de votre réponse. Quant à la seconde, si vous relisez le billet vous verrez que je donne une définition de l’innovation qui n’est pas seulement technique. Je ne nie certainement pas qu’epub représente un élargissement des possibilités, mais je pense que cela relève plus des gains de productivité que de l’innovation. Mais sur ce point j’imagine qu’on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein…
@Virginie. Je ne veux pas faire ligne à ligne le commentaire du commentaire de la leçon, on n’en sortirait plus. Quelques points cependant:
1/ Le ton du billet se voulait humoristique, il a été perçu comme ironique, agressif, méprisant. Ce n’était certainement pas mon intention. La faute à l’auteur, il écrira mieux la prochaine fois, ou s’abstiendra d’essayer de faire du style.
2/ Vous pensez que j’oppose web, apps, et epubs. Je les compare, certainement, mais dire que je les oppose est un contresens. Au contraire, le coeur de mon billet c’est qu’il faut travailler de front sur tous ces formats.
3/ Il est inexact également de considérer que je reprocherais aux éditeurs “traditionnels” de faire du epub. Je dis explicitement qu’un “éditeur, qui fait du papier, doit certainement, en numérique, continuer à faire du epub2, et du epub3”. La version originale de ce texte, où j’étais moins contraint par la taille du texte et pouvais détailler, disait plus clairement encore les intérêts d’epub (https://medium.com/on-publishing/15687b674ec0). Donc Readium, tout ça? Très bien, pas de problème…
4/ Mon argument est simplement que cet investissement est trop déséquilibré en faveur d’epub. Mais à nouveau, j’imagine qu’on peut trouver le verre à moitié plein quand il me semble à moitié vide…
Bonjour,
pouvez-vous préciser ce que vous considérez une app. Et dans quel environnement elle est accessible ?
En lisant cette article, je me demande si l’auteur sait ce qu’est un livre au format EPUB. Parce que comparer un epub et une app, dire que l’EPUB es fermé, penser que l’EPUB va fondre dans le Web… c’est tout simplement… Bref, pour être constructif, je dirais simplement que l’auteur aurait dû peaufiner sa connaissance du format EPUB avant d’écrire cet article.
Nicolas, j’avais commencé à commenter votre billet ici, et puis le texte s’est allongé et est devenu un nouveau billet sur teXtes : ” EPUB : commenter la leçon ” http://bit.ly/1dNZ5fI
— ePUB est fermé :
Moui… Alors prenez un livre dont vous voulez partager une photo avec votre ami qui habite à Montréal alors que vous êtes à Toulouse, deux solutions s’offrent à vous : 1. arracher la page et lui envoyer par courrier postal, 2. photocopier ladite page ou la prendre en photo et la lui transmettre. Stupéfiant, le livre est incroyablement fermé tant que toutes ses pages sont reliées ! Est-ce bien assez absurde ?
Que ce soit un ePUB ou une app ne change d’ailleurs rien à l’affaire, donc cet argument semble assez saugrenu…
— ePUB n’est pas innovant :
Ôtez les prix du transport (envois, retours d’invendus), de l’impression, lancez des maisons d’éditions numériques qui n’ont pas pignon sur rue, choisissent d’autres auteurs que les maisons traditionnelles… Distribuez mondialement (en se jouant peut-être de mesures de censure de niveau national…), ajoutez du texte en plusieurs langues y compris couvrant des alphabets non-latins (imaginez un recueil de haïkus japonais commentés en français, par exemple), ajoutez de la musique, du son, de la vidéo, des liens internes et externes… Pas trop mal quand même en terme d’élargissement des possibilités !
— L’utilisateur se moque des formats :
Certes, mais lorsque toutes ses apps seront illisibles parce que monsieur Apple ou madame Amazon auront changé leur système (OS), la valeur des apps, comment dire ?, s’en trouvera bien diminuée…
Fred Lanta | EditingPlus