Tribune libre – Le prêt du livre numérique en bibliothèques est un sujet crucial pour le développement du marché.
Les éditeurs français ont choisi l’option PNB avec des règles propres au marché du livre en France.
La Cour de justice européenne a publié un arrêt sur le prêt des ebooks en bibliothèque et assimile celui-ci au prêt d’un livre papier.
Face à ce sujet important pour l’industrie du livre et concernant le droit d’auteur, Me Arnaud Touati, avocat Associé du cabinet Alto Avocats, décrypte les récents développements en la matière.
Un prêt électronique est-il assimilable à un prêt d’ouvrage papier ? Ou comment le numérique bouleverse les règles du droit d’auteur
La directive du 12 décembre 2006 relative au droit de location et de prêt de livres prévoit que le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire de tels prêts appartient à l’auteur de l’œuvre.
Néanmoins, il est également prévu que les Etats membres peuvent déroger à ce droit exclusif pour les prêts publics, à condition que les auteurs obtiennent une rémunération équitable.
Ainsi, dans une affaire opposant une association des bibliothèques publiques à une fondation chargée de la collecte de la rémunération due aux auteurs, la question s’est posée de savoir si cette exception était assimilable au prêt de livre sous format numérique ?
Selon les autorités néerlandaises, le prêt de livre numérique ne relevait pas du droit exclusif de prêt au sens de la directive de 2006.
Saisie du litige, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé par une décision du 10 novembre 2016 que la notion de prêt public, au sens de la directive de 2006, couvre le prêt d’une copie de livre sous forme numérique, « lorsque ce prêt est effectué en plaçant cette copie sur le serveur d’une bibliothèque publique et en permettant à un utilisateur de reproduire ladite copie par téléchargement sur son propre ordinateur, étant entendu qu’une seule copie peut être téléchargée pendant la période de prêt et que, après l’expiration de cette période, la copie téléchargée par cet utilisateur n’est plus utilisable par celui-ci ».
Ainsi, la Cour vient préciser que la possibilité pour les États membres de remplacer le droit exclusif de prêt public par un droit à rémunération s’étend au prêt numérique correspondant au modèle « one copy, one user », et ce à condition que le prêt ne soit autorisé que pour une durée limitée.
Dès lors, lorsque le prêt numérique présente la même économie que le prêt de livre papier, rien ne s’oppose à ce qu’on lui applique le même régime .
En revanche, la présente décision s’oppose à ce que l’exception de prêt public s’applique à une copie de livre numérique dans le cas où cette copie a été obtenue à partir d’une source illégale.
Même si la directive est silencieuse sur ce point, il va de soi que l’un des objectifs de celle-ci est de lutter contre la piraterie.
En définitive, si la directive ignore le prêt numérique, aucun texte ne s’oppose à ce qu’un tel prêt puisse être admis. « Où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer ».
Ainsi, en procédant à une interprétation tant littérale que dynamique des textes européens, elle a décidé d’étendre l’exception prévue par la directive relative au droit de prêt, aux œuvres littéraires sous format numérique.
Les livres numériques désormais être prêtés par les bibliothèques publiques en vertu de la licence légale de l’article 6§1 de la directive.
Quid des éditeurs ?
Les éditeurs sont très critiques face à cette décision. Selon eux, la distribution du livre numérique diffère fondamentalement de celle du livre papier, en ce que le premier peut être copié en masse sans qu’aucune rémunération ne soit versée. Pour la Fédération des Editeurs Européens (FEE), « la décision de la CJUE est un choc pour la communauté de l’édition ».
En effet, une telle décision bénéficie principalement aux auteurs, et non plus aux éditeurs, lesquels passaient jusqu’alors par des contrats de licence avec les bibliothèques.
Désormais, les auteurs recevront une rémunération équitable – s’ajoutant à celle de la vente de livre –, ladite rémunération était indépendante des contrats conclus avec les éditeurs.
En conclusion, cette décision illustre parfaitement la tendance législative et jurisprudentielle qui étend à l’univers numérique des notions pensées à l’origine pour des supports physiques.
Il est compliqué aujourd’hui de ne pas tenir compte des supports numériques et l’objectif de la directive est d’appliquer le droit d’auteur aux réalités économiques nouvelles. La Cour ne procède d’ailleurs ici qu’à une harmonisation a minima.
Ainsi, la solution qui concerne les Pays-Bas devrait s’étendre au mécanisme français, ce qui semble d’ailleurs cohérent avec l’esprit de la réforme récente du contrat d’édition matérialisée par l’ordonnance du 12 novembre 2014.
En conclusion, nous constatons que le droit a encore besoin, pour évoluer et intégrer pleinement les formes et objets numériques, de s’appuyer sur leur représentation matérielle et des textes qui en ont élaboré le régime.
Le droit d’auteur est un droit sur l’œuvre, sur l’immatériel. Dès lors, peu importe le support, les droits et exceptions reconnus aux auteurs doivent être identiques.
*Notons que ceci revient à exclure du champ d’application de l’article 6 tous les dispositifs permettant qu’un fichier acquis par une bibliothèque puisse être emprunté simultanément par plusieurs utilisateurs, comme c’est le cas en France de la plateforme de Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB), ou des systèmes d’accès en streaming à des bouquets de livres numériques. Ces dispositifs ne peuvent relever du prêt au sens de la directive, et reposent sur un modèle contractuel qui leur est propre.