Depuis des années, Immateriel.fr s’est positionné sur le marché du livre numérique. A la fois pionniers et visionnaires, Xavier Cazin et Julien Boulnois, les fondateurs de l’entreprise, n’ont eu de cesse de proposer de nouveaux modèles économiques pour faire émerger le marché du ebook en France. IDBOOX est allé à leur rencontre pour zoomer sur l’actualité débordante dans l’univers des ebooks.
Comment se porte Immateriel depuis un an ?
Plutôt pas mal ! Notre travail quotidien de distributeur consiste à fluidifier la circulation des données entre éditeurs et libraires. Nous y consacrons la majeure partie de notre temps, d’autant plus que nous opérons également la partie distribution de Dilithèque, la plate-forme de diffusion/distribution de Dilisco.
Parallèlement, deux gros chantiers nous ont beaucoup occupé :
Tout d’abord l’élaboration d’une offre de streaming crédible à destination des collectivités, en nous basant sur l’expérience réussie avec Publie.net. Le défi consistait à intégrer progressivement quatre paramètres jusqu’ici ignorés des acteurs classiques :
1. Associer les libraires, dont les clients collectivités expriment des besoins croissants en ressources numériques
2. Prendre en compte les nouveaux usages connectés en proposant un accès illimité à des collections, par ailleurs composées par la collectivité avec l’aide de son libraire.
3. Faciliter l’interopérabilité avec les systèmes de gestion de ressources existant chez les bibliothèques
4. Créer des offres multi-éditeurs tout en permettant aux distributeurs de garder le contrôle sur leurs fichiers. Le travail commun avec un acteur neutre comme Dilicom est ici indispensable.
Des villes aussi différentes que Montréal, Clermont-Ferrand ou Lausanne ont déjà adopté ce système, et il est clair pour nous qu’il a plus d’avenir que les licences à l’unité avec DRM.
Par ailleurs, avec l’aide d’Apple, nous avons mis en place un circuit de validation plus efficace pour accueillir de nouveaux catalogues d’éditeurs. En prime, nous héritons du fameux label Apple Approved Aggregator :-)
La distribution a progressé de 50% !
Vous annonciez l’an dernier un chiffre d’affaire de 8K€ par mois, est-ce que les choses ont progressé depuis et comment ?
Cela ne concernait que l’activité annexe de librairie numérique en ligne. Depuis, elle a encore progressé de 20%, et la distribution a progressé pendant ce temps de 50%. Mais comme nous ne gardons que 10% de commission, elle ne suffit pas encore à nous nourrir. Nous avons donc recours aux prestations et au consulting pour boucler les fins de mois, mais la tendance est plutôt encourageante.
Quelle est votre réaction face à l’arrivée du Kindle d’ Amazon en France ?
Il s’agit d’une machine d’un excellent rapport qualité/prix, qui convaincra certainement de nombreux lecteurs (notamment ceux qui ont la vue basse !) de sauter le pas de la lecture numérique. Mais comme beaucoup l’ont noté, il s’agit surtout d’une plate-forme dont l’objectif est d’être accessible depuis n’importe quelle machine. À noter que le système d’offres multi-formats que nous sommes aujourd’hui les seuls à proposer permet à nos éditeurs de proposer des fichiers Mobipocket en plus des habituels PDF et ePUB. Ainsi, nous permettons aux libraires indépendants de vendre nos offres à ceux de leurs clients qui possèdent un Kindle.
Alliance Kobo / Fnac : “l’affaire est loin d’être pliée pour Amazon”
Et le partenariat Kobo / FNAC qu’en pensez-vous ?
Le Kobo Touch est très proche du Kindle en rapport qualité/prix. Ajoutez à cela que les magasins FNAC proposeront bientôt à leurs clients de le toucher avant de l’acheter, et vous voyez que l’affaire est loin d’être pliée pour Amazon. En tant que distributeur, l’avantage de ce partenariat technique entre Fnac et Kobo est qu’il nous suffit de travailler avec un seul acteur, en l’occurrence Kobo, pour en servir deux.
Les ebooks que vous distribuez vont-ils où sont-ils sur ces 2 enseignes ?
Bien sûr. Et, comme pour le Kindle, nous permettons aux possesseurs de Fnac/Kobo Touch d’acheter ailleurs que chez Kobo, grâce aux offres multi-formats sans DRM que nos éditeurs sont en mesure de proposer aux libraires. Cela est cohérent avec notre soutien à la librairie indépendante.
Pour vous et votre profession quels problèmes rencontrez-vous pour travailler avec Amazon, et Google ?
Bien sûr, il y a cette manie de la clause de confidentialité qui est pénible, voire un peu risible. Mais le principal problème, que nous ne rencontrons pas avec Apple, est la mauvaise compréhension du rôle de distributeur : la plupart des acteurs nord-américains, ont tendance à nous voir comme un simple entrepôt intermédiaire, pas comme un gestionnaire de flux (qui gère des offres complexes, met à jour en masse des contenus et des métadonnées, et propose des relevés de ventes en temps réel). D’une certaine manière tant mieux : cela rééquilibre la donne en faveur de la librairie indépendante.
Prix Unique du ebook et TVA des “erreurs” !
A propos du prix unique du livre numérique (PULN) et de la TVA sur les ebooks que pouvez-vous nous dire ?
L’erreur fondamentale est de considérer que le prix de vente est lié à l’œuvre elle-même, alors que de tout temps il a servi à valoriser les manifestations de l’œuvre. L’arrivée du numérique multipliant les manifestations possibles, appliquer un même tarif à ces différents services d’accès à une même œuvre est absurde. Surtout, alors qu’elle est censée protéger les libraires quelle que soit leur taille, elle favorise uniquement les structures capables de créer une plate-forme fermée et d’établir leur siège à l’étranger ! J’affirme que cette loi ôte aux éditeurs et aux libraires la possibilité de proposer les services d’accès riches et personnalisés que promet le numérique et qui leur permettraient de lutter efficacement contre les offres standardisées. Je pourrais développer, mais en conclusion, j’espère que l’Europe protègera la France contre elle-même en retoquant cette loi.
Quant à la TVA à 5,5%, cela participe de la même erreur : on croit que le livre numérique est un bien, alors qu’il s’agit d’un service d’accès à l’œuvre, plus encore que le livre papier. Non seulement cela risque de brider l’innovation en terme de services (on hésitera à dépasser l’homothétique pour ne pas risquer d’être taxé comme service), mais la commission européenne risque de ne pas s’y tromper non plus. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que ce soit le moment de priver l’Etat de ressources :-)
Que pensez-vous du partenariat SFR Orange et librairies indépendantes, où est votre place ?
Le système proposé par Orange est beaucoup plus intéressant que je ne le pensais de prime abord, surtout depuis qu’ils ont compris la nécessité d’intégrer un acteur neutre comme Dilicom au centre des transactions. En gros, ce modèle préserve la possibilité pour une personne d’acheter où bon lui semble, en ayant constamment accès à sa bibliothèque personnelle de fichiers et services. Il est probable que nous participions à l’élaboration du prototype en 2012.
Comment envisagez-vous le marché de l’ebook en France dans les 9 prochains mois ?
L’ebook se développe selon deux axes qui convergeront comme ont convergé le téléphone et le PDA : celui de la lecture dite homothétique, et celui de la lecture multimédia, web + applications. Le problème de la lecture homothétique, c’est qu’elle mord par définition sur la lecture papier, puisque les machines à encre électronique concurrencent le papier en confort de lecture, en tout cas pour ce qui n’est pas illustré ou avec des mises en page complexes.
Quant à la lecture multimédia, elle est une réalité depuis 15 ans sur le Web, mais les éditeurs peinent à la faire entrer dans le circuit commercial traditionnel. Or, en ne proposant pas d’offres de lecture numérique compatibles avec nos habitudes de lecture en ligne, on se condamne à concurrencer la lecture sur papier ! D’une part en favorisant la lecture homothétique, d’autre part en encourageant les lecteurs du Net à se détourner carrément de l’édition commerciale : il existe tant d’autres lieux de tentation… Certains s’en réjouiront en pensant que cela tient les prédateurs à distance, mais il faut bien admettre que le commerce est un outil pratique quand un auteur souhaite atteindre des lecteurs au-delà de son premier cercle.